Place de la Pharmacovigilance dans la gestion de la pandémie à SARS-CoV2

Article extrait du bulletin Echos de Pharmacovigilance n°29 des CRPV du Grand-Est, de Bourgogne et de Franche Comté

Le contexte pandémique actuel représente une situation sanitaire
exceptionnelle sur différents plans : virologique d’une part, avec l’identification d’un nouveau virus (le SARS-CoV2), pathologique d’autre part, avec une maladie appelée Covid-19, ayant des présentations cliniques très variées et, enfin, thérapeutique, avec l’absence à ce jour de médicament efficace, évalué selon des méthodes robustes.

Cette situation nous rappelle la nécessité de disposer, pour une nouvelle thérapeutique, d’une balance bénéfice/risque évaluée de façon rigoureuse afin d’apporter aux patients un bénéfice réel tout en les exposant à un risque le plus maîtrisé possible.

Ainsi, des essais cliniques doivent être menés selon une méthodologie rigoureuse pour apporter le plus rapidement possible les réponses attendues. Les délais incombant à ces essais cliniques et l’urgence sanitaire de terrain ont conduit à proposer plusieurs thérapeutiques sur la base de données in vitro ou de données obtenues dans d’autres pathologies virales à coronavirus.

La plupart de ces médicaments ne sont pas « nouveaux » et inconnus, car déjà utilisés, parfois depuis longtemps, dans d’autres pathologies : l’hydroxychloroquine depuis plusieurs dizaines d’années dans les maladies autoimmunes, l’association lopinavir/ritonavir dans le VIH…

Néanmoins, il est nécessaire de garder en mémoire que les données d’efficacité et de toxicité disponibles pour un médicament le sont dans une ou plusieurs indications et chez des patients aux caractéristiques données. Sorti de son contexte habituel d’utilisation, ce même médicament peut révéler un profil de risque très différent. Ainsi, dans ce type de situation, encore plus qu’habituellement, il est indispensable d’assurer une surveillance étroite des patients exposés à ces thérapeutiques.

Cette surveillance est l’essence même de la pharmacovigilance : identifier des signaux de sécurité potentiels à partir des effets indésirables rapportés par les professionnels de santé et les patients.

Au travers de cet article, nous souhaitons vous apporter un point sur le déroulé des actions de pharmacovigilance et leur impact sur les décisions récemment prises.

Le 5 mars[1]puis le 23 mars 2020[2], la prise en charge thérapeutique des patients atteints du COVID-19 a été encadrée par les rapports du Haut Conseil de la Santé Publique sur la base d’une évaluation scientifique, à partir des données disponibles alors. Il est important de préciser que ces données ont été, et sont encore, très évolutives et sont à analyser au regard de leur date de parution.

Grâce aux déclarations de professionnels de santé, les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ont pu, dès le 26 mars 2020 alerter l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) avec deux premiers cas graves de complications cardiovasculaires rapportés avec l’hydroxychloroquine, associée ou non à l’azithromycine.

Une enquête nationale de pharmacovigilance a été officiellement ouverte dès le 27 mars. L’objectif de cette enquête est d’assurer la surveillance des effets indésirables des médicaments utilisés chez les patients pris en charge pour Covid-19, non seulement avec des médicaments utilisés dans cette indication, donc en dehors de leur autorisation de mise sur le marché, mais également plus largement, des effets indésirables de tous les médicaments administrés chez ces patients ou suspectés d’avoir favorisé l’infection. Compte tenu du profil de sécurité déjà connu de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine et des premiers cas notifiés aux CRPV, un focus a été réalisé d’emblée sur la cardiotoxicité. Ainsi, une enquête globale sur l’ensemble des effets indésirables a été confiée au CRPV de Dijon et l’analyse spécifique des effets indésirables cardiovasculaires a été confiée au CRPV de Nice.

Par ailleurs, l’étude pilote MESANGE concernant le signalement des situations de mésusage en l’absence d’effet indésirable en ambulatoire par les pharmacies d’officine mise en place par les CRPV de Bourgogne et de Franche-Comté en 2017, a été étendue à toute la France dès la fin du mois de mars.

Les analyses étaient et sont toujours réalisées quotidiennement à partir des notifications d’effets indésirables collectées, analysées par les 31 CRPV. Grâce à cette organisation, le signal concernant la cardiotoxicité de l’hydroxychloroquine, mais également de l’association lopinavir/ritonavir, a pu être précocement mis en évidence et a fait l’objet d’une communication le 30 mars par l’ANSM[3]. Ces informations ont également été largement relayées dans la presse grand public.

La remontée des cas d’effets indésirables fait l’objet d’un bilan hebdomadaire, discuté lors d’un comité de suivi spécifique réunissant des représentants de l’ANSM et des CRPV. Un croisement avec les signaux émanant notamment des essais cliniques est également réalisé et discuté dans le cadre de ce comité. Les rapports hebdomadaires ont été mis à disposition sur le site Internet de l’ANSM depuis la semaine du 20 avril[4].

Au fil des jours et des semaines, le signal de cardiotoxicité a été confirmé, et très tôt, les CRPV se sont positionnés en faveur d’une balance bénéfice/risque défavorable de ces médicaments hors essai clinique. Au cours des mois d’avril et de mai, des données internationales sont venues progressivement apporter des éléments supplémentaires pour l’évaluation de la balance bénéfice/risque de l’hydroxychloroquine, ce qui a conduit le Haut conseil de la santé publique à déconseiller, dans son rapport du 24 mai 2020[5], l’utilisation de l’hydroxychloroquine chez les patients ambulatoires ou hospitalisés, quelque soit le degré de gravité. Il a également recommandé de réévaluer le rapport bénéfice/risque de ce médicament dans les essais cliniques en cours ou à venir.

Le 26 mai 2020, l’arrêté autorisant le recours à l’hydroxychloroquine et à l’association lopinavir/ritonavir dans le Covid-19, hors essais cliniques, a été abrogé. Le même jour, dans ce contexte et suite à l’annonce par l’OMS de la position du comité scientifique de l’essai international Solidarity sur la suspension temporaire des inclusions de nouveaux patients qui devaient être traités avec de l’hydroxychloroquine, l’ANSM a décidé, par mesure de précaution, de suspendre les inclusions de patients dans les essais cliniques menés en France avec ce médicament[6]. Les inclusions dans l’étude Solidarity ont été réautorisées le 3 juin par l’OMS. Le 15 juin, la FDA a décidé de retirer l’autorisation d’utilisation dans les situations d’urgence de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine orales dans le traitement du Covid-19. Elle a par ailleurs indiqué que les essais cliniques évaluant l’hydroxychloroquine et la chloroquine dans le Covid-19 continuent et que les patients dont le traitement est en cours peuvent le poursuivre .

Cette situation sanitaire exceptionnelle est une preuve indéniable de l’intérêt majeur du système public de pharmacovigilance, basé sur la remontée des effets indésirables médicamenteux par les professionnels de santé et les patients aux CRPV, présents sur le terrain, au plus près d’eux.

Grâce à la qualité des données, à la précocité de leur remontée et à leur analyse en temps réel par le réseau des CRPV, les signaux de sécurité ont rapidement été identifiés et une fois validés, communiqués.

Ces événements doivent également nous rappeler qu’un médicament sorti de son contexte d’utilisation habituelle, peut s’avérer plus dangereux que bénéfique. De plus, les prises de décisions doivent se baser sur des arguments scientifiques et médicaux robustes pour le bien des patients.

Références bibliographiques (site internet consultés pour la dernière fois le 29/05/2020) :

  1. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=771
  2. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=785
  3. https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Plaquenil-et-Kaletra-les-traitements-testes-pour-soigner-les-patients-COVID-19ne-doivent-etre-utilises-qu-a-l-hopital-Point-d-information
  4. https://www.ansm.sante.fr/Dossiers/COVID-19/Medicaments-Nos-informations-de-securite-avis-et-recommandations-face-au-COVID-19/(offset)/1
  5. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=837
  6. https://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/COVID-19-l-ANSM-souhaite-suspendre-par-precaution-les-essais-cliniques-evaluant-l-hydroxychloroquine-dans-la-priseen-charge-des-patients-Point-d-Information

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