Les inhibiteurs de la pompe à protons, les risques à long terme

Article extrait du bulletin VIGINEWS n9 des CRPV d’Angers et de Nantes

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) constituent un traitement de choix des troubles liés à l’acidité gastrique et exposent les patients à des effets indésirables (EI) bénins et peu fréquents. Bien que les études menées pour la plupart des indications des IPP ne justifient leur utilisation qu’à court terme (2 à 12 semaines), ces traitements sont couramment poursuivis pendant des périodes prolongées ou même indéfiniment. En 2015, en France, près de 16 millions de patients ont eu au moins un remboursement d’IPP et chez 4% d’entre eux, soit près de 300 000 patients, la durée de traitement excédait 6 mois (1). Or, l’utilisation au long cours d’IPP expose les patients à certains EI qu’il faut savoir identifier.

Quelques notions de pharmacologie

Les IPP (oméprazole, ésoméprazole, pantoprazole, lansoprazole et rabéprazole) sont des pro-drogues et des bases faibles qui s’accumulent dans les espaces où le pH est inférieurà 4, espaces qui sont localisés essentiellement dans les canalicules sécrétoires des cellules pariétales gastriques. Après protonation, les molécules actives (sulfénamides tétracycliques) vont se fixer de manière covalente, donc irréversible, sur la sous-unité alpha de la pompe à protons (H+/K+-ATPase). L’activité enzymatique en est alors bloquée de façon prolongée, au moins le temps nécessaire pour le renouvellement des sous-unités de la H+/K+-ATPase (approximativement 18 heures), permettant la plupart du temps une prise quotidienne unique. L’inhibition de la sécrétion acide est dose-dépendante.

Risque d’effets indésirables

De nombreuses publications, dont certaines sont récentes, relèvent une association entre des EI parfois graves et l’utilisation des IPP à long terme, alors que l’arrêt, difficile suite au rebond d’acidité, conduit à poursuivre la prise. En outre et, bien que la fréquence de ces EI semble faible, l’exposition aux IPP dans la population générale est telle qu’il est nécessaire que ces effets soient connus de tous et recherchés. Nous proposons, ci-dessous, un tableau synthétisant les EI les plus pertinents lors d’une utilisation prolongée des IPP ; le niveau de risque est basé sur les résultats des méta-analyses les plus récentes.

Tableau 1 : Effets indésirables liés aux IPP lors d’un traitement prolongé (tableau adapté de Nchimi C et al.) (2)

Effets indésirables
potentiels
Niveau
de risque
Mécanisme
physiopathologique évoqué
Infection
à Clostridium difficile
OR 1,26 (1,12-1,29) (3)Une réduction de l’acidité gastrique peut favoriser la survenue d’infections intestinales dont des infections à Clostridium difficile
PneumonieOR 1,49 (1,16-1,92) (4) Micro-aspiration de la flore intestinale altérée par
l’hypochlorhydrie induite par les IPP.
Altération de la flore respiratoire par modification du pH via les pompes à protons des voies respiratoires supérieures et inférieures.
Colite microscopiqueOR 2,68 (1,73-4,17) (5) Inconnu
Fracture osseuse
(hanche, vertèbres
et poignet)
RR 1,26 (1,16-1,36) (6)
Moindre absorption du calcium par augmentation du pH gastrique ; Augmentation de l’activité ostéoclastique induite par l’hypochlorhydrie locale (via les pompes à protons ostéoclastiques)
HypomagnésémieRR 1,43 (1,08-1,88) (7)Diminution de l’absorption gastro-intestinale du magnésium. Ce trouble ionique est asymptomatique ou symptomatique (crises convulsives, tétanies, arythmies) et une hypocalcémie ou une hypokaliémie sont fréquemment associées
Carence en vitamine
B12
HR 1,83 (1,36-2,46) (8)
Malabsorption de la vitamine B12 avec pour principales conséquences des anémies
Insuffisance rénale
chronique
RR 1,33 (1,18-1,51) (9)
Les principales hypothèses émises sont : i) une évolution vers la chronicité des néphrites interstitielles immuno-allergiques induites par les IPP et non diagnostiquées, ii) une augmentation de la sénescence endothéliale, iii) un dysfonctionnement
endothélial ou iv) une acidification lysosomale 10

D’autres effets indésirables graves sont aussi retrouvés dans la littérature avec un niveau de preuve plus limité :

Troubles musculaires (myalgies, polymyosites et rhabdomyolyses) : le niveau de preuve est insuffisant pour établir une relation causale et repose en grande partie sur quelques cas rapportés dans la littérature et des notifications enregistrées dans les bases de pharmacovigilance (11,12).

Infarctus du myocarde ( IDM) et autres troubles cardio-vasculaires : il a été évoqué une diminution de l’activité du clopidogrel par interaction pharmacocinétique avec les IPP mais les résultats des études cliniques
randomisées n’ont pas validé les premiers résultats (13). Cependant, les résultats issus de plusieurs études pharmaco-épidémiologiques sont contradictoires et certaines montrent un faible surcroit d’IDM avec l’utilisation des IPP indépendamment de la présence ou non du clopidogrel (14).

Cancer gastrique : un risque de tumeurs gastro-intestinales a été évoqué sur la base d’études chez l’Animal mais les résultats de la littérature sont contradictoires. Toutefois, une étude récente montre une augmentation du risque de cancer gastrique en cas de traitement au long cours avec des IPP, en particulier chez les personnes infectées par Helicobacter pylori (HR 2,44 (1,42- 4,20)). L’hypergastrinémie due à l’IPP est évoquée comme facteur pathogène de cette carcinogénèse (15).

Augmentation de la mortalité : une étude de cohorte menée aux Etats-Unis a mis en évidence chez les utilisateurs d’IPP (n=157 625) versus utilisateurs d’anti-H2 (n=56 482), 45,2 décès supplémentaires pour 1 000 patients (IC 95% : 28,2-61,4). La cause détaillée des décès supplémentaires associés aux IPP était liée à des maladies cardiovasculaires, à une maladie rénale chronique et à des cancers du tube digestif haut16.

L’utilisation au long cours des IPP expose à des EI durée-dépendants dont certains sont seulement présumés devant le faible niveau de preuve d’association causale. Dans tous les cas les prescripteurs doivent réévaluer régulièrement l’intérêt de la prescription d’un IPP.

Patients et professionnels de santé doivent garder à l’esprit que l’utilisation des IPP doit se faire dans les indications reconnues, aux doses les plus faibles, sur la durée la moins longue possible et de sevrer graduellement en cas d’exposition de longue durée.

Références bibliographiques :

  1. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2018;27(S2):423
  2. Rev Med Suisse 2019;15:1551-5
  3. J Hosp Infect. 2018;98(1):4-13
  4. PLoS One. 2015;10,e0128004
  5. Am J Gastroenterol. 2015;110(7):1121
  6. Osteoporos Int. 2016;27(1):339-47
  7. Ren Fail. 2015;37(7):1237-41
  8. Intern Med J. 2015;45(4):409-16
  9. Dig Dis Sci. 2017;62(10):2821-7
  10. Therapie 2018;73(3), 273-81
  11. Drug Saf. 2017;40(1):61–4
  12. Annals of Pharmacotherapy. 2017;51(1), 66-71
  13. Am Heart J. 2016;174:95–102
  14. Int J Cardiol. 2014;177(1):292–7
  15. Gut. 2018;67(1):28-35
  16. BMJ. 2019;29(365):158.

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