Point d’information à destination des professionnels de santé

Réseau français des Centres régionaux de Pharmacovigilance – 22 mars 2020

La chloroquine et l’hydroxychloroquine sont deux médicaments commercialisés en France depuis longtemps et connus pour leurs propriétés antimalariques. La chloroquine constitue toujours un médicament essentiel dans la prévention et le traitement du paludisme.

L’hydroxychloroquine est une molécule dérivée de la chloroquine par hydroxylation. Leur structure étant chimiquement proche, elles présentent des propriétés communes. Cependant, l’hydroxychloroquine ne possède pas d’indication dans le traitement du paludisme en France mais est utilisée depuis de nombreuses années dans le traitement de certaines pathologies auto-immunes.

Ces deux médicaments sont disponibles en France uniquement sur prescription médicale (Liste II).

SARS-CoV-2 (COVID-19)

Quelques études préliminaires suggèrent une efficacité de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine sur la charge virale du SARS-CoV-2 (1,2,3) et des évaluations cliniques sont entreprises au niveau mondial.

ECG et risque de prolongation du QT :

La chloroquine, l’hydroxychloroquine (mais aussi l’azithromycine et le lopinavir, à un moindre degré) bloquent les canaux potassiques hERG. Les patients recevant concomitamment ces traitements sont exposés à des prolongations possibles de l’intervalle QT corrigé (QTc) de l’électrocardiogramme de surface (6). La toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine est dose-dépendante et des cas d’arythmies graves ont été rapportés lors de surdosage mais aussi à dose thérapeutique.

  • L’allongement du QTc peut être associé à la survenue d’arythmies ventriculaires polymorphes à type de torsades de pointes. Ce risque est plus important à partir d’un QTc >500 ms. Il est majoré par l’hypokaliémie et par l’association de plusieurs médicaments allongeant le QTc, facteurs de risque souvent présents chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. Le risque est également majoré par une fréquence cardiaque lente (<55 bpm).
  • Les patients infectés par le SARS-CoV-2 ont une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et peuvent avoir des hypokaliémies profondes (<3.0 mmol/L). Il est essentiel de corriger toute hypokaliémie avant d’administrer hydroxychloroquine et/ou azithromycine ou, si le temps ne le permet pas de monitorer l’ECG en attendant l’effet des traitements permettant d’augmenter la kaliémie.
  • En cas de co-prescription de chloroquine ou d’hydroxychloroquine avec l’azithromycine, une surveillance cardiaque du patient est donc nécessaire :
    • Avant instauration du traitement (si possible) par un ECG qui doit être d’excellente qualité. Le QTc de base donné automatiquement par l’appareil, qui est le plus souvent le QT corrigé par la formule de Bazett, est acceptable si le tracé est de qualité correcte et la fréquence cardiaque < 80 bpm. En cas de doute ne pas hésiter à demander un avis spécialisé.
    • Durant le traitement :
      • Un premier ECG doit être réalisé dans les 3 à 4h suivant la première administration (au Cmax supposé de l’hydroxychloroquine ± azithromycine), pour vérifier que le QTc demeure dans des limites correctes (≤480 ms)
      • Puis un ECG est recommandé 2 fois par semaine pendant la durée du traitement et en cas de symptôme pouvant faire évoquer un trouble du rythme cardiaque (palpitations brusques et brèves, syncope, crise comitiale, …)
    • Interprétation du risque :
      • L’intervalle QTc doit rester ≤ 480ms en l’absence de surveillance continue de l’ECG.
      • Si 480ms < QTc < 500ms, le patient doit être plus étroitement surveillé (d’autant plus si une bradycardie ou des extrasystoles ventriculaires monomorphes surviennent régulièrement)
      • Si le QTc est ≥ 500ms, cette valeur doit être confirmée par un nouvel ECG, par l’utilisation d’autres formules de correction (par exemple formule de Fridericia) et, idéalement, par l’avis d’un spécialiste. Le traitement doit être diminué ou arrêté en fonction de la décision du clinicien, et un monitoring cardiaque continu mis en place jusqu’à normalisation de l’ECG.
  • Il est important de vérifier que la kaliémie ne soit pas < 3.5 mmol/l (idéalement elle doit être entre 4.0 et 4.4 mmol/L), et de prescrire, si nécessaire, une supplémentation K+, voire des épargnants potassiques (chlorhydrate d’amiloride (Modamide®)).

L’association avec les autres médicaments susceptibles d’allonger l’intervalle QT, outre le lopinavir ou l’azithromycine, expose le patient à un risque supplémentaire de torsades de pointes qui devra être pris en compte. La liste de ces traitements comporte notamment la plupart des autres macrolides mais aussi le citalopram et l’escitalopram, certains antipsychotiques (quétiapine, etc.), l’hydroxyzine, les diurétiques, etc.(cf. INTERACTIONS ci-après)

Les autres risques liés à l’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine sont bien connus (voir ci-dessous). Les 2 molécules sont toxiques en cas de surdosage, particulièrement la chloroquine, la dose toxique pouvant être atteinte rapidement (marge thérapeutique étroite).

Suivi Thérapeutique Pharmacologique (SFPT/ANRS) (4) : L’hydroxychloroquine, souvent associée à l’azithromycine (antibiotique de la famille des macrolides, a été proposée dans cette utilisation aux doses de 400 mg deux fois par jour le premier jour (dose de charge) suivi de 200 mg deux fois par jour pendant 5 jours. Cela semble optimiser les concentrations tissulaires pulmonaires. En suivi thérapeutique pharmacologique, établi par l’ANRS et la SFPT, une valeur seuil de 100 ng/ml (g/ml) doit être obtenue a minima en résiduel (une à deux heures avant la prise en cas d’administration biquotidienne) (5). Un premier dosage plasmatique peut être proposé entre J2 et J4 du traitement.

CONTRE-INDICATIONS (7,8,9)

Pour les 2 molécules

  • Allergie à la chloroquine ou à l’hydroxychloroquine
  • Rétinopathie (ou autre maladie chronique de l’œil)
  • Certaines interactions médicamenteuses (cf ci-dessous)

PRECAUTIONS D’EMPLOI

  • Diabète
  • Epilepsie
  • Maladies cardiaques (insuffisance cardiaque, infarctus, arythmie, allongement congénital du QTc)
  • Maladie de Parkinson
  • Porphyrie, déficit en G6PD
  • Troubles de la kaliémie ou de la magnésémie

Grossesse: Les données d’exposition actuellement disponibles dans l’espèce humaine, qui sont plus nombreuses pour la chloroquine que pour l’hydroxychloroquine, n’ont pas mis en évidence d’effets tératogènes. Cependant, en raison d’un risque génotoxique potentiel, l’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine doit généralement être évitée pendant la grossesse, à moins que la situation clinique justifie l’utilisation du traitement au regard des risques potentiels encourus pour la mère et le fœtus.

INTERACTIONS (7,8,9)

Associations contre-indiquées en raison du risque majoré de troubles du rythme ventriculaire, notamment de torsades de pointe : citalopram ou l’escitalopram, la dompéridone, l’hydroxyzine ou la pipéraquine

Associations déconseillées : risque accru d’arythmie ventriculaire avec tous les autres médicaments connus pour allonger l’intervalle QT / susceptibles d’induire une arythmie cardiaque : Anti-arythmiques de classe IA et III, antidépresseurs tricycliques, antipsychotiques et certains anti-infectieux (macrolides, fluoroquinolones).

Si une telle association est prescrite, elle nécessite une surveillance étroite clinique et de l’ECG. L’association de chloroquine ou d’hydroxychloroquine avec l’azithromycine est susceptible d’augmenter le risque d’allongement de l’intervalle QT et d’exposer les patients à des troubles du rythme ventriculaire tels que torsades de pointes.

Associations faisant l’objet de précautions d’emploi/à prendre en compte :

  • avec les médicaments proconvulsivants ou abaissant le seuil épileptogène : risque de convulsions avec les antidépresseurs imipraminiques, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, les neuroleptiques (phénothiazines et butyrophénones) et le tramadol. Par ailleurs, l’activité des médicaments antiépileptiques peut être altérée en cas de prise concomitante d’hydroxychloroquine.
  • avec les médicaments hypoglycémiants : risque de majoration de l’effet hypoglycémiant de l’hydroxychloroquine.
  • avec la ciclosporine dont la concentration plasmatique peut être majorée, de même que la créatininémie.
  • avec les hormones thyroïdiennes : risque d’hypothyroïdie chez les patients substitués.
  • avec les topiques gastro-intestinaux, les antiacides et le charbon : diminution de l’absorption digestive de l’hydroxychloroquine. A prendre à distance (plus de 2 heures).
  • avec la cimétidine : ralentissement de l’élimination de l’hydroxychloroquine et risque de surdosage.

EFFETS INDESIRABLES

Les effets indésirables sont pour la plupart dose-dépendants et peuvent survenir de façon plus fréquente avec la chloroquine comparativement à l’hydroxychloroquine (tous ne sont pas cités) :

  • Affections gastro-intestinales : nausées, vomissements, diarrhées.
  • Effets cutanéo-muqueux : prurit et éruption cutanée sont fréquents. Des toxidermies sévères (DRESS, syndrome de Stevens-Johnson, Lyell, Pustulose exanthématique Aiguë Généralisée-PEAG) ont aussi été rapportées.
  • Affections cardiaques : cardiomyopathie, troubles de la conduction et du rythme cardiaque (bloc auriculo-ventriculaire, allongement de l’intervalle QTc, torsades de pointe, tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire)
  • Affections hématologiques : anémie hémolytique chez les patients ayant un déficit en G6PD traités concomitamment avec d’autres médicaments provoquant une hémolyse.
  • Troubles psychiatriques : insomnies, dépression, agitation, anxiété, agressivité, troubles du sommeil, confusion, hallucination.
  • Troubles du système nerveux : céphalées, étourdissements, convulsions.
  • Troubles du métabolisme : hypoglycémie
  • Effets oculaires : troubles de l’accommodation, vision floue. D’exceptionnels cas de rétinopathies liées à l’accumulation de la molécule et pouvant conduire à des lésions irréversibles de la macula, ont été décrits chez des patients recevant un traitement au long cours. Des cas de maculopathie et dégénérescence maculaire pouvant être irréversibles ont été rapportées.
  • Affections hépatobiliaires : élévations des enzymes hépatiques ou d’hépatite survenant notamment chez les patients porteurs d’une porphyrie cutanée tardive.

TOXICITE, SURDOSAGE

La chloroquine est hautement toxique en cas de surdosage particulièrement chez les enfants (7). La chloroquine est absorbée rapidement (pic plasmatique entre 2 et 6 h après la prise). Son élimination rénale est lente avec une demi-vie d’élimination de 10 à 30 jours. La chloroquine est considérée comme un médicament à marge thérapeutique étroite.

Chez l’adulte, la dose dangereuse est estimée à partir de 2 g de chloroquine en 1 prise (soit plus de 20 comprimés de 100 mg en 1 prise). Chez l’enfant, on l’estime à partir de 25 mg/kg de chloroquine en 1 prise (soit à partir de 2 comprimés pour un enfant de 10 kg). Des doses de 2,25 à 3 g peuvent être fatales chez un adulte et chez l’enfant, des cas de décès ont été rapportés après la prise d’1 ou 2 comprimé(s) (11).

L’intoxication aiguë à la chloroquine est une intoxication dont la gravité provient du caractère précoce et brutal de survenue des troubles cardio-vasculaires. Des troubles digestifs (nausées et vomissements) et des signes neurosensoriels (agitation anxieuse, obnubilation, voire coma, convulsions, troubles visuels (vision floue, diplopie, parfois perte transitoire de la vue), vertiges, bourdonnements d’oreille, hypoacousie)) sont présents précocement ;  ils ont valeur d’alarme quant à la réalité de l’intoxication (10). Certains symptômes sont de valeur pronostique très péjorative : hypotension, collapsus cardiovasculaire, signes ECG : troubles du rythme et de la conduction, aplatissement de l’onde T, allongement de l’intervalle QTc, élargissement du QRS, torsades de pointe, tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire. L’extrême brutalité de survenue d’un arrêt cardiaque au cours des intoxications aiguës par la chloroquine doit être soulignée (10).

Une hypokaliémie peut survenir, probablement due à une entrée de potassium dans les cellules, augmentant ainsi le risque de dysrythmie cardiaque. L’évolution peut être fatale, consécutive à une insuffisance cardiaque ou respiratoire ou à un trouble du rythme cardiaque.

Toute suspicion d’intoxication par la chloroquine impose l’hospitalisation. Quelle que soit la dose supposée ingérée, toute intoxication par la chloroquine impose une prise en charge préhospitalière par un service mobile d’urgence.

Au total, en l’état des connaissances actuelles, considérant les risques encourus pour des bénéfices cliniques inconnus, l’hydroxychloroquine et la chloroquine ne doivent pas être utilisées dans la prise en charge des infections à coronavirus SARS-CoV-2, en dehors d’essais cliniques ou de prises en charge spécialisées.

Pour toute information sur la chloroquine, l’hydroxychloroquine : http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr

Pour toute information concernant le coronavirus COVID-19 : https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/coronavirus/

Pour déclarer un effet indésirable avec la chloroquine ou l’hydroxychloroquine, qu’il soit grave ou non et/ou inattendu, contacter votre CRPV https://www.rfcrpv.fr/votre-crpv/ ou utiliser le portail de signalement des événements sanitaires indésirables https://signalement.social-sante.gouv.fr/psig_ihm_utilisateurs/index.html#/accueil

Pour vos questions sur vos médicaments dans le cadre de l’épidémie COVID-19 : https://sfpt-fr.org/covid19

Références

  1. Gautret et al. (2020) Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID‐19: results of an open‐label non‐randomized clinical trial. International Journal of Antimicrobial Agents – In Press 17 March 2020 – DOI : 10.1016/j.ijantimicag.2020.105949
  2. Wang M et al. Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro.Cell Res. 2020 Mar;30(3):269-271. doi: 10.1038/s41422-020-0282-0. Epub 2020 Feb 4.
  3. Gao J et al. Breakthrough: Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies. Biosci Trends. 2020 Mar 16;14(1):72-73. doi: 10.5582/bst.2020.01047. Epub 2020 Feb 19.
  4. ANRS AC43/SFPT. Recommandations pour le suivi thérapeutique pharmacologique du lopinavir/r et de l’hydroxychloroquine chez les patients traités pour une infection à SARS-CoV-2 (COVID-19)
  5. Yao X et al. In Vitro Antiviral Activity and Projection of Optimized Dosing Design of Hydroxychloroquine for the Treatment of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2).Clin Infect Dis. 2020 Mar 9. pii: ciaa237. doi: 10.1093/cid/ciaa237. [Epub ahead of print]
  6. Borsini F et al. In vitro cardiovascular effects of dihydroartemisin-piperaquine combination compared with other antimalarials. Antimicrob Agents Chemother. 2012 Jun;56(6):3261-70. doi: 10.1128/AAC.05688-11. Epub 2012 Mar 5.
  7. RCP Nivaquine® http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr
  8. RCP Plaquenil ® http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr
  9. ANSM. Thesaurus des interactions médicamenteuses, Septembre 2019. Disponible sur www.ansm.sante.fr disponible sur https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/0002510e4ab3a9c13793a1fdc0d4c955.pdf
  10. Baud et Garnier. Toxicologie Clinique. 6e edition. 2017
  11. Micromedex 2.0. 2020. Truven Healt Analytics Inc
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