Médicaments et fragilisation osseuse

Article extrait du bulletin Vigipharmamiens Fév-mars 2020

La fragilisation osseuse peut être induite par des médicaments. Elle est liée à l’induction d’ostéomalacies (par carence ou pertes en calcium, phosphate et vitamine D), d’ostéoporose responsable de réduction de la minéralisation osseuse et d’altération de l’architecture et de la densité minérale de l’os et de sarcopénie osseuse. Est surtout connu le rôle des corticoïdes pour leur responsabilité dans la survenue d’ostéoporose et de fractures. Mais d’autres médicaments peuvent également être en cause.

Une analyse des deux bases de données de pharmacovigilance de France et d’Espagne a été réalisée (1) pour identifier les médicaments imputés dans la survenue d’effets indésirables incluant les termes de la classification MedDRA ostéoporose et ostéomalacie. Les bases des deux pays existent depuis 1982 pour la France et 1985 pour l’Espagne (avec respectivement 31 et 17 Centres Régionaux de Pharmacovigilance). Ont été identifiés pour les cas étiquetés ostéoporose, 325 cas en France et 42 en Espagne avec respectivement un rapport F/M de 1,85 et de 1,68 ; âge moyen 57 et 50 ans et une association à des fractures dans 43 et 33 % des cas.

Dans 52 % des cas en France et 35 % en Espagne, les corticoïdes faisaient partie des médicaments suspects. Venaient ensuite les antirétroviraux systémiques essentiellement inhibiteurs de protéase et inhibiteurs non nucléosidiques de transcriptase inverse puis (mais seulement dans la base de données française), des anti-acides (essentiellement des IPP), des médicaments anti-épileptiques, des anti-thrombotiques (surtout héparine et AVK) et quelques cas avec des antidépresseurs (essentiellement IRS) et des neuroleptiques, ainsi que quelques cas avec des médicaments antinéoplasiques, endocriniens (leuproréline, goséréline, triporéline et létrozole).
Pour les cas d’ostéomalacie (44 cas en France, 22 en Espagne), ce sont pour les deux pays les antirétroviraux et les anti-épileptiques (surtout le phénobarbital).

Même s’il existe des limites à l’analyse de cas notifiés en pharmacovigilance, ceux-ci permettent d’avoir une représentation de ce qui est observé en vie réelle (et rapporté au rôle potentiel d’un médicament).
Les données rapportées dans cette analyse sont globalement en accord avec les données de la littérature et confirment qui si les corticoïdes sont la classe thérapeutique la plus fréquemment en cause, de nombreux autres médicaments peuvent être responsables de cas d’ostéoporose /ostéomalacie.

Le risque d’effets indésirables osseux est bien documenté pour les antirétroviraux en particulier les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse même si le mécanisme en cause n’est pas connu avec précision (rôle d’une interaction des lymphocytes T avec les ostéoblastes et les ostéoclastes, rôle également d’une hypophosphorémie secondaire à une atteinte rénale au niveau du tubule proximal, syndrome de Fanconi).

En ce qui concerne les IPP, le risque est bien documenté (et signalé dans leur RCP). Il est considéré comme lié à une réduction de l’absorption in-testinale de calcium du fait de la réduction de l’acidité gastrique. Une méta-analyse retrouve une augmentation de 26 % du risque relatif de frac-tures associées à une ostéoporose sous IPP et de 58 % des fractures de hanche (2). Une étude plus récente (3) réalisée chez plus de 27 000 patients hémodialysés, dont 49 % recevaient des IPP, montrait après ajustement sur tous les facteurs potentiellement confondants un risque de fractures osseuses en général augmenté de 47 % (+ 85 % pour les fractures de hanche).

En ce qui concerne les antidépresseurs IRS (cas seulement retrouvés dans la base de données française), le risque n’est pas mentionné dans leur RCP. Il existe des données expérimentales dans la littérature en faveur de ce risque : réduction de la masse osseuse chez la souris après inhibition du gène impliqué dans le transport de la sérotonine et mise en évidence d’un effet de la fluoxétine sur la différenciation des ostéoblastes…. Il existe éga-lement des données cliniques reprises dans une méta-analyse récente (4) montrant en particulier une diminution de la densité osseuse au niveau vertébral chez les patients âgés traités par IRS.

Quelques cas sont retrouvés dans les deux bases de pharmacovigilance avec des médicaments antinéoplasiques et endocriniens. Le rôle de ceux-ci est documenté dans la littérature pour les inhibiteurs d’aromatase utilisés dans le traitement du cancer du sein, anastrozole (Arimidex®), létrozole (Fémara®), exémestane (Aromasine®). Ce risque est signalé dans leur RCP.

Des cas ont également été notifiés avec des analogues de la Gn-RH, leuproréline (Enantone®), goséréline (Zoladex®, triptoréline (Decapeptyl®, Gonapeptyl®, Salvacyl®). La perte de masse osseuse (réversible dans les 6 mois de l’arrêt de ces médicaments) est signalée dans le RCP de ces produits.

Un anticoagulant figure parmi les médicaments suspects dans un certain nombre des cas (13 avec les AVK, 11 avec une héparine, 5 avec des anticoa-gulants oraux directs). Ce risque est documenté dans la littérature en particulier pour l’héparine non fractionnée et les AVK. Il semblerait moins fréquent avec les anticoagulants oraux directs (AOD), en particulier l’apixaban selon une étude menée sur la base de données de l’assurance maladie à Taïwan (4). Une autre étude sur bases de données concernant plus de 150 000 patients traités par fibrillation auriculaire non valvulaire confirme le risque de fractures associé au traitement par warfarine par comparison avec des patients traités par AOD avec là aussi un risque nettement moindre avec l’apixaban (5).

A noter enfin qu’un risque d’ostéoporose est évoqué pour les statines selon des données pharmaco-épidémiologiques autrichiennes (6), risque retrouvé significatif à forte dose. A suivre…

(1) Dardonville Q et coll. Drug-induced osteo-poress/osteomalacia : analysis in the French and Spanish pharmacovigilance databases. Eur J Clin Pharmacol 2019 ; online 29 août 2019 (https://doi.org/10.1007/s00228-019-02743-9
(2) Zhou B et coll. Proton-pump inhibitors and risk of fractures : an update meta-analysis. Osteo-poros Int 2016 ; 27 : 339-47.
(3) Fusaro M et coll. Increased risk of bone frac-tures in hemodialysis patients treated with proton pump inhibitors in real world : results from the dialysis outcomes and practice patterns study (DOPPS). J Bone Miner Res. 2019 ; 34 : 2238-2245.
(4) Zhou C et coll. Effect of selective serotonin reuptake inhibitors on bone mineral density : a systematic review and meta-analysis. Osteoporos Int 2018 ; 29 : 1243-51.
(5) Huang H-K et coll. Fracture risks among pa-tients with atrial fibrillation receveing different oral anticoagulants : a real-world nationwide co-hart study. European Heart Journal : feb 2020. http://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz952
(6) Lutsey PL et coll. Association of anticoagulant therapy with risk of fracture among patients with atrial fibrillation. JAMA Internal Medicine : 25 Nov 2019. Jamainternmed.2019.5679
(7) Leutner M et coll. Diagnosis of osteoporosis in statin-treated patients is dose-dependent. Annals of the Rheumatic Diseases : 26 sept 2019. Availa-ble from :URL:http//doi.org/10.1136/annrheumdis-2019-215714

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