Article extrait des Echos de pharmacovigilance des CRPV de Bourgogne Franche Comté et du Grand Est
En 2017, une étude française rapportait que 86.5% des français âgés de 18 à 75 ans déclaraient avoir bu de l’alcool au cours des 12 derniers mois (1). La consommation de médicament est élevée, en particulier chez les plus de 65 ans. L’alcool étant l’une des substances psychoactives les plus consommées, le risque d’interactions Alcool – Médicament est non négligeable.
Dans certains résumés des caractéristiques des produits (RCP), la consommation d’alcool est parfois mentionnée dans les rubriques « interactions », « mises en garde et précautions d’emploi » voire en tant que contre-indication. Les professionnels de santé ont donc un rôle important de prévention lors de la prise en charge d’un patient.
Les conséquences indésirables d’une association Alcool-Médicament peuvent s’expliquer par différents mécanismes.
1/ Addition d’effets indésirables de l’alcool à ceux des médicaments
L’alcool a un effet sédatif qui va majorer la dépression du système nerveux central en cas d’association à des médicaments type psychotropes, opioïde, myorelaxants, antihistaminiques, etc…
De même, une majoration des effets indésirables digestifs (ulcération, hémorragies) est attendue en cas d’association avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens, y compris l’aspirine.
L’alcool possède un effet hypoglycémiant par augmentation de la sensibilité à l’insuline, et majore donc le risque d’hypoglycémie chez les patients traités par insuline ou médicaments hypoglycémiants.
La prise de dérivés amphétaminiques et d’alcool peut potentialiser le risque d’effets indésirables cardiovasculaires (tachycardie, infarctus du myocarde) par une augmentation du débit cardiaque et une consommation accrue en oxygène du myocarde.
2/ Impact de l’alcool sur la pharmacocinétique des médicaments
De nombreuses associations Alcool-Médicaments peuvent avoir un impact sur la pharmacocinétique des médicaments, en augmentant ou diminuant un ou plusieurs paramètres, tels que la concentration plasmatique maximale (Cmax), le temps pour obtenir ce pic plasmatique (Tmax) ou encore la demi-vie d’élimination (T½).
Les effets varient en fonction de la consommation d’alcool (aiguë ou chronique). En effet, l’alcool a un effet inhibiteur des cytochromes (CYP), notamment CYP2E1 et CYP2C9, en cas de consommation occasionnelle. Inversement, il a un effet inducteur en cas de consommation chronique. Ainsi, par exemple, l’impact sur la warfarine d’une consommation aiguë d’alcool majore l’effet anticoagulant de la warfarine, alors qu’une consommation chronique a tendance à diminuer son efficacité anticoagulante.
Un autre exemple significatif est celui du paracétamol qui, métabolisé par le CYPE 2E1, donne un métabolite hépatotoxique (le NAPQI). La consommation chronique d’alcool aura un double rôle délétère : d’une part elle augmente l’activité du CYP2E1 et conduit à la formation accrue du métabolite toxique, et d’autre part, elle diminue le stock en glutathion, voie de détoxification du NAPQI, ce qui potentialise à nouveau la toxicité hépatique du paracétamol.
L’alcool à forte dose peut retarder la vidange gastrique et ainsi diminuer la biodisponibilité de certains médicaments.
Une compétition avec les enzymes impliquées dans le métabolisme de l’alcool est également rapportée (2) avec l’abacavir par exemple, dont le métabolisme utilise l’alcooldéshydrogénase. Ainsi, en comparant un groupe abacavir-alcool versus abacavir-placebo, l’aire sous la courbe et la demi-vie d’élimination plasmatique de l’abacavir étaient augmentées par interaction avec l’alcool.
3/ Impact de certains médicaments sur la pharmacocinétique de l’alcool
Les médicaments modifiant la motilité et la vidange gastrique (ex : métoclopramide, dompéridone, érythromycine) conduisent à une absorption plus précoce et plus importante de l’alcool ainsi qu’une diminution de la dégradation gastrique de l’alcool. Les médicaments anticholinergiques retardent l’apparition de l’effet de l’alcool par un retard d’ouverture du pylore.
4/ Conséquence d’une interaction avec le métabolisme de l’alcool = l’effet antabuse
L’effet antabuse est lié à l’accumulation d’acétaldéhyde, métabolite de l’alcool. Le disulfirame est utilisé pour ce type de propriété dans le cadre du sevrage éthylique, mais d’autres médicaments peuvent entrainer un effet antabuse : les nitro-imidazolés (métronidazole, antiparasitaires type secnidazole), certains antifongiques (griséofulvine, kétoconazole), certaines céphalosporines de 2° génération (céfamandole), les sulfamides hypoglycémiants (ex : glicazide,…) (3)
En pratique, il est nécessaire d’identifier et de qualifier la consommation alcoolique d’un patient à l’instauration ou au cours du suivi d’un traitement afin de détecter ou prévenir la survenue d’effets indésirables médicamenteux.
- Richard JB et al. La consommation d’alcool chez les adultes en France en 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):89-97
- Traccis F etal. Neuroscience and Biobehavioral Reviews (2021)
- VIGITOX numéro 55 – Novembre 2014 (http://vigitox.cap-lyon.fr/revues/55/articles/280)